Les premières expérimentations de télétravail en France, et ce grâce au téléphone et au fax, se mènent au cours des années soixante-dix. « Télétravail » est la traduction de « telework ». Jack Nilles (chercheur associé du Centre de Recherche sur le Futur à l’Université de Californie du Sud, Los Angeles), identifié comme le père du télétravail, parle quant à lui de « telecommuting ». « Communting » signifie « faire la navette ». Les travaux de Jack Nilles se justifiaient par la visée qu’il avait, celle de réduire la fréquence des trajets dans le cadre de l’exercice professionnel.
Le télétravail constitue ainsi une activité professionnelle menée, tout ou partie, à distance du lieu où le travail est attendu. Le terme s’oppose à l’idée du travail en intra, sur site, in situ. Le télétravail s’effectue, principalement, depuis le domicile mais pas seulement. Il est fait à distance, depuis un autre lieu que celui des locaux prévus à cet effet par l’employeur.
En 2015, 17 % de la population active européenne pratiquait le télétravail à domicile et mobile (étude de l’Eurofound Working anytime, anywhere: The effects on the world of work, Office des publications de l’Union Européenne, 2017).
La crise sanitaire que nous traversons est venue imposer cette modalité de travail jusque là davantage choisie. Le déploiement du télétravail, afin de limiter les liens, comme barrière à la transmission de virus, est possible grâce au développement des Techniques de l’Information et de la Communication (TIC). Ces dernières n’ont de cesse d’accroître leur caractère innovant et leur efficience.
Les nouvelles organisations de travail pensées au printemps 2020 ont ainsi nécessité, pour chaque salarié en télétravail, de pouvoir aménager chez lui une pièce ou un espace dédié à la réalisation de son activité professionnelle. Un endroit calme, un poste ergonomique, équipé du matériel adéquat tout en se prémunissant de la fatigabilité majorée par les temps d’échanges téléphoniques et en visioconférence qui obligent à faire appel à d’autres ressources que celles auxquelles chacun recourt lorsqu’il est sur site, etc. La question des réseaux d’accès, internet et autres flux, n’est pas anodine et interroge sur les modalités de circulation, certes des informations, mais aussi de la relation à l’autre.
Cette dernière dimension n’est pas négligeable. Toutes les conditions ne sont pas nécessairement réunies, et en raison de la modification rapide des organisations de travail, plus souvent subies que choisies, et peu portées par les organisations, de nouvelles formes de souffrance émergent. Les interactions entre la vie familiale et le travail sont complexes, plusieurs entraperçoivent une forme d’intrusion dès lors que le rendez-vous en ligne, via la webcam, est imposé. La conciliation vie personnelle et vie professionnelle ne se vit pas de la même façon pour tous. Certains s’y retrouvent et veulent poursuivre, d’autres déplorent cette modalité imposée en arguant notamment l’idée de ne jamais réussir à couper. La loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels de 2016 crée le droit à la déconnexion. L’intention du législateur en matière de prévention demeure néanmoins peu usitée. Le télétravailleur se sent tout aussi omniprésent, pris dans une simultanéité, qu’oublié.
Sentiment d’isolement, absence de bénéfice de la dynamique induite par le groupe, maux de tête, fatigue oculaire, irritabilité, sentiment de perte de sens, etc. sont éprouvés par un plus grand nombre de salariés à l’issue des dix derniers mois. La structure, tant formelle qu’informelle, prescrite par le travail ou s’exprimant dans les locaux devenus parfois quasi-désertiques manque au plus grand nombre. Les Risques PsychoSociaux (RPS) augmentent avec la pratique du télétravail : manque de contact provoqué par le travail à domicile, besoin de rapports de convivialité avec les collègues, perte du collectif de travail, risque de consignes personnelles irréalisables de l’employeur, etc.
Je ne savais pas que la parole d’un homme pût toucher à ce point le cœur, qu’il suffit d’une simple voix humaine pour éveiller en nous tant de sentiments cachés, profonds. Il me semble que cet homme m’a révélé mon cœur.
Antonin Artaud, Le Moine, 1975
Tisser de nouveaux repères, échanger en face à face et participer aux réunions, partager un café, râler contre le papier manquant dans le copieur que le collègue a oublié de réalimenter, etc., c’est-à-dire tout ce qui participe à l’existence et à la circulation du lien social est appelé des vœux des professionnels.
Les relations sociales, tout comme la force du collectif, constituent des dimensions essentielles qu’il convient de préserver, voire de restaurer.
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